L'impression est aux manuscrits
ce que le théatre est aux femmes: elle met en lumière
les beautés et les défauts; elle tue aussi bien
qu'elle fait vivre; une faute saute alors aux yeux aussi vivement
que les belles pensées.
Lucien Chardon dit de
Rubempré, ami et beau-frère de David Séchard,
le «grand homme» d'Angoulême, est un jeune
poète qui monte à Paris pour y affronter un
destin qu'il devine glorieux. Auteur d'un roman historique
et d'un recueil de poésie, il va essayer de faire éditer
ses ouvres.
Balzac se permet la définition
suivante: «On nomme en argot typographique, «copie»,
le manuscrit à composer, sans doute parce que les auteurs
sont censés n'envoyer que la copie de leur ouvre. Peut-être
aussi est-ce une ironique traduction du mot latin «copia»
(abondance), car la copie manque toujours!...»
Dans un premier temps,
il va se heurter à l'incompréhension des libraires
(Vidal et Porchon, Dauriat) qui ne veulent pas prendre le
risque commercial de lancer un inconnu ou à leur cupidité
(Doguereau).
Devenu journaliste, il
va découvrir la collusion qui existe entre le monde
de la presse et celui de la librairie (Dauriat, Fendant et
Cavalier). Pour les libraires en effet, les recensions dans
les journaux constituent la seule publicité existante.
Le succès rapide d'un livre dépend donc d'un
ou deux articles flateurs et les journalistes monnayent chèrement
leurs services, se faisant payer en livres gratuits, qu'ils
revendent ensuite à d'autres libraires (Barbet).
Toute la problématique
du commerce de la librairie est résumé dans
cette remarque du journaliste Lousteau à son ami Lucien:
«Et pourquoi vous
livrer à la souffrance? Ce qui nous coûte notre
vie, le sujet qui, durant des nuits studieuse a ravagé
notre cerveau; toutes ces courses à travers Ies champs
de la pensée, notre monument construit avec notre sang
devient pour les éditeurs une affaire bonne ou mauvaise.
Les libraires vendront ou ne vendront pas votre manuscrit,
voilà pour eux tout le problème. Un livre, pour
eux, représente des capitaux à risquer. Plus
le livre est beau, moins il a de chances d'être vendu.
Tout homme supérieur s'élève au-dessus
des masses, son succès est donc en raison directe avec
le temps nécessaire pour apprécier l'ouvre.
Aucun libraire ne veut attendre. Le livre d'aujourd'hui doit
être vendu demain. Dans ce système-là,
les libraires refusent les livres substantiels auxquels il
faut de hautes, de lentes approbations.»